Joe Strummer and the Mescaleros | fr

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Une équation taraude depuis une quinzaine d'années Joe Strummer: comment évoluer et vivre dignement quand on a conscience d'incarner le mythe du rebelle intègre? L'homme qui, de 1976 à 1983, avait transformé sa vie – et celle de milliers d'adolescents – en un «combat rock» reconnaît dans son nouvel album être «perdu dans ce monde». Les certitudes des années Clash, où il avait transformé le rock en machine de guerre, sont loin. A la tête de son gang sublimement looké, Joe Strummer orchestrait le chaos de ses concerts et chroniquait son époque à coup de slogans. Les hippies disaient «peace and love», Clash titrait l'une de ses chansons «Hate and War» («haine et guerre»), ce que le monde lui laissait entrevoir. Ce groupe, dont Strummer était la quintessence, avait avant tout de l'intuition. Celle des premiers poseurs en treillis qui laissaient imaginer que la musique allait changer le monde. Il donnait le sentiment d'avoir capturé la vérité d'une époque. Tétanisants, leurs concerts ont traumatisé une génération. Les quatre de Clash en sont ressortis cassés, essorés. Laissant derrière eux une image d'abnégation et une oeuvre capitale qui continuent à inspirer tous les mouvements musicaux. Dans l'Angleterre conservatrice du début des années 80, les repères étaient plus «simples». «Thatcher était une salope. Mais une salope honnête qui avait des convictions. Tony Blair est bien pire. Avec lui, tout est calculé, étudié par des conseillers en image. Il n'y a même plus de place pour le débat. Tu es pauvre? Voilà pour toi. Tu es libéral? On ne t'oublie pas. Dans son monde idéal, on chanterait des chansons chrétiennes à la guitare sèche en portant des habits propres.» Père de trois filles, Strummer vit dans une ferme du Somerset. «La nuit, il dort peu, lit beaucoup de biographies historiques et bidouille de la musique», raconte sa femme, Luce. Depuis dix ans, et l'échec commercial de son précédent disque, il s'est contenté de quelques jolies musiques de films, d'une poignée d'apparitions à l'écran chez Jarmusch, le Finlandais Kaurismäki ou le cérébral Ossang, et de collaborations avec une kyrielle de groupes mineurs. Peu de rockers ont su, comme lui, s'éclipser et admettre que leur tour était passé. La contrepartie est plutôt lourde à porter: un statut de «légende», comme Strummer dit de lui-même, qui force le respect mais impose aussi des «devoirs». Actuellement en tournée mondiale avec son nouveau groupe, les Mescaleros, Strummer enchaîne sur scène d'énergiques morceaux de Clash avec ses nouvelles productions plus posées. La meilleure d'entre elles, «Yalla! Yalla!», se veut «un cri de liberté». «Comme lorsqu'à 5 heures du matin, tu sors dans la rue après une bonne soirée et que tu as cette impression de puissance en toi: tout devient possible, et on va le faire ensemble. Tu ne sais pas trop bien quoi, mais c'est sûr, on va y arriver.» Aujourd'hui, après les concerts, les musiciens de Strummer vont au lit. Pas lui. Seul, ou accompagné de sa femme, Luce, il sort flairer l'air des villes, s'enthousiasmer des tatouages d'un vagabond croisé au hasard ou parler de la vie au comptoir, en sirotant des margaritas. Ses fans sont tous trentenaires, quadras, et lui serinent que Clash leur a donné «une conscience politique», les a ouverts sur les musiques du monde. Le vieux punk les écoute, les questionne, sans feindre l'intérêt. Irait-il chercher, à son tour, chez les autres le sens à donner à sa vie? Le temps lui a appris à évacuer «cette mauvaise tentation de regarder en arrière». Il aurait pu être plus encore qu'une synthèse de Bono, de Springsteen et d'Iggy Pop. Et le sait. «Sans regret», il se tient à l'écart des belles villas de l'aristocratie rock, de ses photos glamour aux bras de mannequins. Lui, reste John Mellor, alias Joe Strummer («le gratteur»), fils d'employé du Foreign Office. Qui «voyage en classe éco, au fond de l'avion», et paie sa place pour aller écouter Bob Dylan. Pour les Sex Pistols, le punk était une arnaque. Pour Clash et Strummer, un outil. Tout à son messianisme révolutionnaire, le groupe avait rogné sur ses royalties pour imposer à CBS de vendre le double album «London Calling», puis le triple «Sandinista» au prix d'un simple. Après la séparation du groupe, Strummer se rend au Nicaragua. «J'imaginais que les Sandinistes apprécieraient qu'un disque porte leur nom. Ils n'en avaient jamais entendu parler! Et les radios ne déversaient que de la variété comme Bananarama.» Sa quête d'intégrité a dû encaisser les coups de boutoir. Durant la guerre du Golfe, on l'a contacté pour utiliser, sept ans après sa sortie, le tube planétaire des Clash, «Rock the Casbah», dans un jeu vidéo dont l'objet était de bombarder des villes arabes. Strummer, qui fustigeait dans ses chansons «la rébellion transformée en argent», a d'abord cru au canular et, bien entendu, a refusé. Mais peu de temps après, Levi's s'octroyait un autre hit clashien, «Should I Stay or Should I Go», pour une pub télé mondiale. «ça nous a rapporté gros à un moment où nous en avions tous besoin.» Quant aux mirobolantes sommes afférentes à une reformation de Clash: «Elles n'ont pas d'intérêt. Qu'est-ce que nous pourrions apporter de plus sur scène?» Ce n'est pas pour faciliter son quotidien plutôt modeste. «Personne ne voulait signer un disque de Joe Strummer en Angleterre, voilà à peine deux ans. Là-bas, je ne suis rien qu'un vague souvenir punk. Chez nous, on consomme du rock, puis on le jette», dit-il d'une voix étranglée. A «l'émeute blanche» («White Riot») qu'il appelait penché sur son micro après avoir vu les Noirs de Brixton se battre avec les bobbies, Joe Strummer a substitué d'autres horizons. Ils sont d'une humaine banalité, comme «le plaisir de se retrouver en famille». Avec ses filles, il lui arrive de prendre la tente et de passer plusieurs jours dans de petits festivals de l'underground techno qui le vénère. «Je suis fasciné par la capacité d'autonomie à vivre en marge des techno kids. Ils prennent leur vélo, leurs CD et, hop, se retrouvent dans un hangar à la campagne pour une fête clandestine.» De retour à la maison, il crie aux filles de «baisser la musique!" Surtout quand il s'agit de Céline Dion», que la petite passe en boucle. Fin septembre lors de la soirée de sortie d'un film sur les Clash («Westway to the World»), le groupe était presque au complet. Seul manquait le batteur, Topper Headon, qui se remet à Douvres d'une nouvelle cure de désinto. Paul Simonon, le bassiste sexy, est désormais un peintre plutôt coté. Mick Jones poursuit ses collaborations avec les musiciens les plus innovants de la place. Joe Strummer leur est tombé dans les bras. Derrière une scène avec des instruments branchés. Ils ne l'ont pas regardée. Dans l'indifférence, le fantomatique ex-Pogues, Shane MacGowan, s'est mis à chanter. Seul Strummer a remarqué son vieux pote irlandais. Debout sur un canapé, il s'est mis à sauter, à applaudir et à montrer le poing à qui venait lui parler. Yalla! Yalla! Hélas dans la tristesse de la fin du mois de décembre 2002, Joe s'en est allé...R.I.P. Joe... .

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